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Kharkiv
Je mettais des dessins animés pour que les enfants n'entendent pas l'artillerie
Ioulia Pototskaїa, directrice du club « Hillel », mère de trois enfants
Les enfants de Ioulia
Le 24, à cinq heures du matin, j'ai entendu des explosions... Je restais au lit et j'ai pensé : « eh bien, ça a commencé. » Ma fille cadette (cinq ans) s'est réveillée et m’a dit : « Maman, quelqu'un est en train de battre un tapis dans la rue. » J’étais d'accord : « Oui, quelqu'un bat un tapis, dors. » Vers sept heures du matin, l’aînée (elle a 13 ans) s’est réveillée en disant : « Maman, je crois que la guerre a commencé. » J’ai aussi un fils de huit ans.

Toutes les cellules du corps de ma fille cadette tremblaient

Le pire, c’est qu’on ne sait pas comment leur expliquer tout ça. Nous avons essayé de préparer nos affaires, puis nous nous sommes assis et... nous ne savions plus où donner de la tête. Alors, j’ai simplement allumé la télé et augmenté le volume des dessins animés pour que les enfants n’entendent pas l’artillerie. Et nous avons regardé des dessins animés toute la journée et j'ai essayé de comprendre ce qui se passait.

Le bâtiment en ruine de l'université de Karazin
Photo : Wikipedia
Les ruines du musée de Grigory Skovoroda

Photo: Wikipedia
Le 26, ma fille aînée, élève de l'École de ballet de Kharkiv, devait se produire à une représentation de « Cipollino ». Mais le spectacle a eu lieu à la maison...

En fait, la guerre dure depuis huit ans, mais j'ai cru jusqu'au dernier moment qu'il n'y aurait pas d'invasion à grande échelle. Puis j'ai pensé que tout serait fini dans deux ou trois jours, une semaine tout au plus.

Une quinzaine de personnes de « Hillel » russe (la plus grande organisation de jeunesse juive au monde - ndt) m’ont écrit le premier jour de la guerre : « Ioulia, nous aurons du mal à nous blanchir, à jamais, nous nous sentons coupables. » Certains d'entre eux restent toujours en contact avec moi, ils m'ont même envoyé de l'argent, beaucoup d'entre eux envisagent de quitter eux-mêmes la Russie...

Nous vivions à Saltovka - tout le monde sait ce qui s'y est passé. Nous avons enlevé des miroirs dans notre appartement et nous sommes descendus au sous-sol pour quelques heures, puis nous avons écouté ma fille cadette, qui nous a dit que c'était plus dangereux ici qu'à la maison et nous sommes revenus.

Dans une pièce sous le mur porteur, nous avons disposé un grand lit. La nuit, je mettais de la musique relaxante pour étouffer des explosions. Parce que j'en tremblais littéralement. Et pendant la journée, nous regardions les dessins animés pour ne pas entendre tout cela. Au début, j'ai dit qu'il était impossible de me chasser d'ici parce que c'était ma maison, mais quand, une semaine plus tard, ils ont commencé les bombardements aériens et que j'ai dû couvrir mes enfants de moi-même... c'était horrible. La plus petite tremblait de tous les cellules de son corps et elle ne pouvait rien faire. Les enfants ne doivent pas voir et entendre tout ça et avoir peur de se faire tuer dans une explosion.

Je leur ai dit de prendre tous les jouets qui leur tenaient à cœur pour garder un peu de chez soi. Dans la nuit du 2 mars, nous avons chargé deux voitures, à 8 heures du matin nous avons récupéré les parents de mon mari (78 ans et 83 ans) et avons pris la route – moi, dans la voiture avec mes enfants et mon mari avec ses parents.

Maman, qui sont les réfugiés ?

Vers 9 heures du matin, nous sommes passés devant « Hillel » et une heure plus tard, il a été bombardé. Complètement détruit. L’école juive a été bombardée également, les vitres de la synagogue ont été brisées.

Vers 9 heures du matin, nous sommes passés devant « Hillel » et une heure plus tard, il a été bombardé. Complètement détruit. L’école juive a été bombardée également, les vitres de la synagogue ont été brisées.
Mon fils me demande : « Maman, qui sont les réfugiés ? » Et je lui réponds : « Les réfugiés, Danietchka, c'est nous... ». Au début, nous avons pensé aller chez nos amis à Dnipro pour une semaine, mais nous sommes restés chez eux deux jours, jusqu'au 4 mars, lorsque les hostilités ont commencé à la Centrale nucléaire de Zaporojie. Alors, avec nos hôtes, nous avons pris la route à 6 heures du matin. Nous ne savions ni où nous allions, ni où nous allons nous arrêter. La route a été longue, nous avons franchi la frontière le 11 mars. Parfois on passait la nuit dans la voiture (à Ouman, par exemple), puis on a dormi dans l'auditorium de Hesed à Khmelnitski (où Dania a peint sa maison à Kharkiv et a écrit « Ukraine ! ») et on a passé une nuit au « Hillel » de Lviv.

Une heure avant le couvre-feu, je comprenais à peu près où nous aurions le temps d'arriver et je commençais à y chercher un logement. Nous avons envisagé de vivre un peu à Oujgorod, mais il n'y avait plus d'appartements à louer. Autre chose : à Kharkiv, on entendait à peine les sirènes, sinon je serais devenue folle. J'éteignais mon téléphone la nuit et le matin, au réveil, j’apprenais qu’il y avait dix alertes aériennes. Mais j’ai dormi et n’ai rien entendu, Dieu merci. Mais dans l’ouest de l’Ukraine, les sirènes fonctionnaient et je n’arrivais pas à m’y habituer...

Finalement, grâce au rabbin de Bratislava Misha Kapustin et à son épouse, nous avons trouvé refuge dans cette ville. Lorsque je suis entrée dans la chambre d’hôtel qu’ils nous avaient louée, j’ai fondu en larmes... Je me souviens toujours de la fille des Kapustin dire : « Nous sommes maintenant une seule famille ! »

Nous y sommes restés huit jours, avons envoyé les parents de mon mari en Israël et nous-mêmes, nous sommes partis en France. La communauté juive conservatrice de Nice nous a proposé un appartement de trois pièces pour trois mois.

Jusqu’à présent, les enfants tressaillent à n’importe quel grondement, les coups violents les font presque s'allonger par terre. Et ils veulent rentrer chez eux. De temps en temps, l'un pleure, puis l'autre. Lorsque nous sommes allés au rassemblement pour l'Ukraine, l’enfant a pleuré pendant une heure. Maintenant, ils se libèrent de tout ça, ils pleurent de temps en temps, ils rêvent de retourner à Kharkiv.

Jusqu’à présent, les enfants tressaillent à n’importe quel grondement, les coups violents les font presque s'allonger par terre. Et ils veulent rentrer chez eux.
En guise d’une postface. Un an après

Nous avons appris à vivre ici et maintenant, sans passé ni futur. Car se souvenir du passé est douloureux, et penser à l'avenir fait peur. Les enfants fréquentent une école française et tout le monde est très attentif à eux. Dania fréquente un club de football, il a déjà été invité à Nice pour jouer pour une grande équipe. La petite danse dans une troupe ukrainienne, l'aînée continue à faire du ballet, elle s'est déjà produite à plusieurs reprises, et même en tant que soliste.

Je remercie Dieu tous les jours d'avoir abouti en France. Je remercie Jean-François et Judith, qui ont mis à disposition un appartement à des étrangers complètement inconnus. Je remercie également la mairie de Cagnes-sur-Mer, sur le bâtiment de laquelle est accroché le drapeau ukrainien. À chaque instant, je ressens du soutien - dans les sourires des gens dans la rue, des enseignants de nos enfants et des simples passants qui nous font signe lorsqu'ils voient le drapeau ukrainien sur notre voiture. Je suis reconnaissante que mes enfants se sentent en sécurité. Je suis reconnaissante à la communauté juive. Et à la mer Méditerranée, que j'ai un peu diluée avec mes larmes au cours des premiers mois.

Ici, ma famille et moi avons participé à un projet photo de Monsieur Renoir - un célèbre photographe, descendant du célèbre artiste, qui a réalisé une série sur les réfugiés d'Ukraine. Il a pris une photo de moi avec mes enfants et la photo de « Hillel » bombardé dans mes mains - cette photo a même fait la couverture d'un magazine.

Mon mari et moi continuons à travailler au « Hillel » de Kharkiv, qui opère dans des locaux de son homologue de Lviv depuis plus d'un an. Mon adjoint a déménagé à Lviv et, en général, il y a une trentaine de nos étudiants. Dans le même temps, l'une des filles est retournée à Kharkiv, et nous avons loué un local pour le club dans le même bâtiment, mais de l'autre côté, moins touché par les bombardements. Les Shabbat sont organisés, toutes les fêtes sont célébrées.

Malgré le fait que ce soit un très bel endroit et qu'il y ait 300 jours de soleil par an, nous croyons que nous rentrerons chez nous et que nous reconstruirons notre « Hillel », Kharkiv et l'ensemble de l'Ukraine. Mais pas avant la fin de la guerre, je ne retirerai pas mes enfants de l’école au milieu de l'année scolaire - aucune école à Kharkiv ne fonctionne en ce moment en présentiel.
Il est compliqué de vivre entre deux pays, de partager ses projets entre l'Ukraine et la France. Mais...

Ioulia et ses enfants dans le cadre d'un projet photo consacré aux réfugiés d'Ukraine
Le témoignage a fait l'objet d'une chronique le 6 avril 2022

Traduit du russe par Larissa Mamounia