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Kyiv
Ma femme conduisait la voiture et allaitait le bébé en conduisant
Pavel Fichel, artiste-peintre
L'épouse de Pavel et le bébé
Le 24 février, vers une heure du matin, un ami de l'oblast de Tchernigov, qui vivait à la frontière avec la Russie, m'a appelé. « Préparez-vous », m'a-t-il dit, « la guerre pourrait éclater demain matin. » À ce moment-là, nous étions encore en convalescence après le Covid-19 — nous n'avions pas de force, alors nous avons décidé d'aller nous coucher. Mais nous n'avons pas bien dormi : vers six heures du matin, un autre ami m'a réveillé en me disant : « C’est commencé. Venez chez nous à Anatevka (village juif près de Kyiv sous le patronage du Grand Rabbin d'Ukraine Moshe Asman — ndlr), une chambre vous est réservée. »

Il n'était pas possible de faire monter plus de huit personnes dans la voiture

Il est devenu évident qu'il fallait d'emmener tous nos proches, soit neuf personnes au total. Nous n'avons emporté que quelques T-shirts, sinon nous n’aurions pas pu monter dans la voiture. En chemin, il est devenu très clair que plus de huit personnes ne monteraient pas dans la voiture, dont deux enfants plus âgés (12 et 13 ans) et la plus petite fille, alors âgée de trois mois. Nous sommes d’abord allés chercher ma belle-mère, une employée de Hesed. Elle est sortie avec une valise de viande achetée la veille, dans l'autre main elle tenait une imprimante et un sac de rapports quelconques. « Eh bien, dit-elle, les gens ne seront pas payés si le rapport n’est pas déposé. » Elle a passé encore six mois à rédiger des rapports tout en parcourant le monde. La grand-mère de l’épouse s’est avérée être la plus responsable : elle est née en 1937 et a réussi à être évacuée pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous avons également fait monter dans la voiture la sœur de ma femme, mais il n’y avait pas assez de place pour ma sœur, alors elle a dû marcher plusieurs kilomètres, et finalement elle a été prise par un bus qui l’a emmenée à une station-service non loin du village où nous avons pu la récupérer ; la station-service a été bombardée le lendemain.

Nous avons voyagé dans une voiture typiquement « juive », avec la grand-mère, le violon et le bouquin La Garde blanche de Boulgakov qui trainait dans le coffre.
Le deuxième jour de la guerre à Anatevka, ma femme est descendue à l'abri avec les enfants — il faisait froid, les enfants criaient, du matériel militaire passait constamment sur l'autoroute de Jitomir — ukrainien ou russe, allez savoir !
Dimanche matin, le rabbin Moshe Asman a demandé qui pourrait organiser un convoi d'évacuation, et Choura (ma femme) s'en est chargée. Elle a dressé une liste des familles disposant d'une voiture et de celles qui avaient de la place pour des passagers supplémentaires. Au total, il y avait 17 voitures et deux bus. Un problème s'est immédiatement posé : il manquait un chauffeur titulaire d'un permis de catégorie D pour conduire le bus. Par chance, il y avait parmi nous un citoyen américain qui avait son billet de retour pour le 24 — il n'a pas pu partir, tout simplement. Et, ô miracle, cet Américain avait ce permis — grâce à lui, nous avons pu faire sortir des dizaines de personnes. À la suggestion du rabbi Asman, le bâtiment de la yeshiva a été donné en gage avant de partir, puis tout le monde a reçu une baguette et le convoi, escorté par la police, s'est mis en route. Nous avons dû laisser beaucoup de choses derrière nous — une chaise pour le bébé, par exemple. Nous avons longtemps débattu s’il fallait prendre le violon dont jouait la sœur de Choura. En conséquence, nous avons voyagé dans une voiture typiquement « juive », avec la grand-mère, le violon et le bouquin La Garde blanche de Boulgakov qui trainait dans le coffre.

Choix français

Il y avait une seule condition : ne pas s'arrêter avant la frontière. Nous avons roulé pendant une dizaine d’heures et c’était ma femme conduisait ; je ne conduis pas. En même temps, elle devait allaiter son bébé en conduisant.
Nous sommes arrivés à la frontière avec la Moldavie pratiquement de nuit. Les gardes-frontières ont demandé à Choura de descendre, elle avait un mauvais pressentiment après ce voyage épuisant. « Tournons au coin », a suggéré l'homme en uniforme. Nous pensions, sincèrement, qu'il allait extorquer de l'argent, mais là, il y avait un tas de couches, de lingettes humides, etc. « Si vous avez besoin de quelque chose, prenez-le, s’il vous plait. »

Tous les hôtels de Chisinau étant pleins, les volontaires nous ont envoyés à Bălți, où ils nous ont hébergés dans deux maisons. Les hôtes étaient des baptistes — des gars fantastiques. Nous avons passé une journée à récupérer, puis nous avons laissé la place au groupe de réfugiés suivant. Nous avons été pris en charge par d'autres Moldaves qui se rendaient en Roumanie (je vous rappelle que nous ne pouvions pas tous rentrer dans une seule voiture). C'étaient des gens formidables, mais en chemin, ils ont entamé une conversation du genre « ce n'est pas si évident ». « Et si la Moldavie est attaquée, nous nous rendrons bien sûr », ont-ils dit, « comment pourrions-nous résister ? »

En Roumanie, nous avons été accueillis par un jeune couple marié qui nous a laissé leur grand appartement et eux-mêmes sont partis chez des amis. Maman et la grand-mère de ma femme ont décidé de s’installer en Allemagne et ma sœur est partie pour rejoindre son fils qui vit en Suède.
Nous étions tous tirés dans des directions différentes — vers l'Estonie (où vit mon frère), l’Israël, l'Allemagne. Mais pour l’instant, nous devions passer le Shabbat quelque part, et le Beth 'Habad nous a loué une chambre dans un hôtel de Cluj-Napoca. C'est là qu'a eu lieu la rencontre la plus importante pour nous. L'université locale est réputée pour sa faculté de médecine vétérinaire, où de jeunes juifs viennent étudier, les garçons venant principalement d'Israël et les filles de France. Pendant ce Shabbat à Beth 'Habad, à la même table que ma femme, s’est trouvée une Parisienne, Karine, qui était venue rendre visite à sa fille étudiante. Personne incroyablement compatissante, le lendemain elle dit soudain qu'une famille aussi nombreuse a besoin d'une communauté, d'une école pour les enfants, etc. et si vous décidez de venir à Paris, je vous aiderai de toutes les manières possibles.
C'était l'option la plus exotique et peu rationnelle, mais... nous avons décidé d'essayer.

Yossi, fils de Pavel Fishel
« Attention, Juifs ukrainiens »

À Paris, nous avons été accueillis par une incroyable communauté orthodoxe ashkénaze, Ohel Avraham. Je me souviens que lorsque nous sommes arrivés pour Pourim, le chef de la communauté nous a retenus un moment, a ouvert la porte de la salle et a dit solennellement : « Attention, Juifs ukrainiens » (il sourit). Il m'a fait asseoir dans son fauteuil - c'était très amusant.

Le père de Karine, aujourd'hui décédé, fréquentait cette congrégation et il lui semblait qu'il nous avait légué sa place. L'appartement du chantre dans la synagogue était vide et on nous a proposé d'y emménager. Plus tard, il s'est avéré que toute la communauté avait acheté quelque chose pour cet appartement - des canapés, des assiettes, etc. Ici, les gens lisent la Torah à tour de rôle, n'importe qui peut diriger la prière, les gens sont étonnamment éduqués en termes religieux et mènent un mode de vie absolument orthodoxe, bien que beaucoup enlèvent leur kippa en quittant la synagogue. La synagogue elle-même est située dans le XVIe arrondissement, et il y a trois autres synagogues dans notre rue. 20 000 juifs vivent dans cet arrondissement.

Nous vivons encore aujourd'hui dans l'appartement du chantre, mon fils a fait sa bar-mitsvah à « Ohel Avraham » et cette année, j'ai été élu Hatan Béréchit. Le degré d'acceptation est très élevé, bien qu'il n'y ait pas un seul russophone dans la communauté.

Nous avons d'abord envoyé les enfants plus âgés à l'école de Rachi, où ils ont été traités de manière fantastique, mais ils parlaient exclusivement anglais. Et nous les avons transférés dans une école publique ordinaire avec une classe d'intégration. Ils ont très bien réussi les tests, mais on nous a prévenus qu'ils surveilleraient le comportement de Yossia. Il s'est avéré qu'en France les manifestations extérieures de religiosité dans les lieux publics sont interdites, et mon fils n'a jamais enlevé sa coiffe, et lorsqu'on lui a demandé de le faire, il a commencé à s'indigner de la phrase des « Trois Mousquetaires » : « Pourquoi pas ? » Il criait ces mots à tous les pas, et les enseignants ont décidé que le garçon n'allait pas bien puisqu'il ne voulait pas enlever sa casquette. Mais finalement, les enfants se sont retrouvés dans une école de quartier classique - avec des hooligans, des groupes établis - telle était l'expérience de l'intégration.

Nafanya, la fille de Pavel Fishel
Ma fille est entrée au conservatoire à l'âge de 13 ans

En Ukraine, notre fille aînée, Nafania, a fait des études de chant classique et a même remporté le concours international des académistes « Première » à l'âge de 12 ans. Ici, elle est entrée dans toutes les écoles de musique qui lui ont été proposées, mais en France jusqu'à l'âge de 18 ans on ne chante que dans des chorales. Elle a même été admise dans le chœur de la Philharmonie de Paris, dont le programme comprenait la moitié des chansons en yiddish, quelque chose de tzigane et un peu d'italien. Si étrange…

Nous nous sommes accordés sur une audition au conservatoire, dont les professeurs ont été tellement impressionnés qu’ils ont eux-mêmes trouvé une fondation qui a financé les études de Nafania. Et à 13 ans, elle est entrée au conservatoire, où elle étudie avec des gens deux fois, voire trois fois plus âgés qu'elle.

Œuvres de Pavel Fishel
Paul Fishel dans son atelier à Paris
Pendant les six premiers mois, j'ai bénéficié d'un atelier payant en plein centre, près de la cathédrale Notre-Dame. Des amis ont commencé à montrer mes œuvres à divers galeristes et lors d'une soirée, ils sont tombés sur une dame qui leur a dit : « Je n'exposerai jamais dans ma vie ce genre d’œuvres. Ils sentent le vieil art d’Europe de l’Est. » C'était déprimant...

Plus tard, nous avons réussi à transporter la plupart de mes œuvres à Paris, et Choura a dit : « Organisons quelque chose comme une fête de déballage pour nos amis - les gens les ouvriront et les regarderont... » Une experte locale est venue et a dit qu'elle n’avait que cinq minutes pour tout faire, mais finalement, elle est restée avec nous pendant trois heures. Elle n'arrêtait pas de demander à Choura : est-ce que votre mari a peint ceci, et cela aussi ? Ce soir-là, j'ai obtenu une certaine reconnaissance, et la vie a changé. Certaines œuvres ont été sélectionnées pour une exposition, d'autres pour une autre, j’ai connu un commissaire-priseur et des amitiés se sont nouées.

Pendant tout ce temps, ma femme a continué de travailler à l’Initiative européenne des cimetières juifs (ESJF). Parallèlement, elle s'est inscrite à des études de troisième cycle - elle avait rédigé une thèse de doctorat mais ne l'avait pas soutenue en Ukraine.

D'une manière ou d'une autre, nous associons maintenant notre vie à la France, d'autant plus qu'il n'y a plus de famille à Kyiv.

Le témoignage a fait l'objet d'une chronique le 11 septembre 2022