Le deuxième jour de la guerre à Anatevka, ma femme est descendue à l'abri avec les enfants — il faisait froid, les enfants criaient, du matériel militaire passait constamment sur l'autoroute de Jitomir — ukrainien ou russe, allez savoir !
Dimanche matin, le rabbin Moshe Asman a demandé qui pourrait organiser un convoi d'évacuation, et Choura (ma femme) s'en est chargée. Elle a dressé une liste des familles disposant d'une voiture et de celles qui avaient de la place pour des passagers supplémentaires. Au total, il y avait 17 voitures et deux bus. Un problème s'est immédiatement posé : il manquait un chauffeur titulaire d'un permis de catégorie D pour conduire le bus. Par chance, il y avait parmi nous un citoyen américain qui avait son billet de retour pour le 24 — il n'a pas pu partir, tout simplement. Et, ô miracle, cet Américain avait ce permis — grâce à lui, nous avons pu faire sortir des dizaines de personnes. À la suggestion du rabbi Asman, le bâtiment de la yeshiva a été donné en gage avant de partir, puis tout le monde a reçu une baguette et le convoi, escorté par la police, s'est mis en route. Nous avons dû laisser beaucoup de choses derrière nous — une chaise pour le bébé, par exemple. Nous avons longtemps débattu s’il fallait prendre le violon dont jouait la sœur de Choura. En conséquence, nous avons voyagé dans une voiture typiquement « juive », avec la grand-mère, le violon et le bouquin La Garde blanche de Boulgakov qui trainait dans le coffre.
Choix français
Il y avait une seule condition : ne pas s'arrêter avant la frontière. Nous avons roulé pendant une dizaine d’heures et c’était ma femme conduisait ; je ne conduis pas. En même temps, elle devait allaiter son bébé en conduisant.
Nous sommes arrivés à la frontière avec la Moldavie pratiquement de nuit. Les gardes-frontières ont demandé à Choura de descendre, elle avait un mauvais pressentiment après ce voyage épuisant. « Tournons au coin », a suggéré l'homme en uniforme. Nous pensions, sincèrement, qu'il allait extorquer de l'argent, mais là, il y avait un tas de couches, de lingettes humides, etc. « Si vous avez besoin de quelque chose, prenez-le, s’il vous plait. »
Tous les hôtels de Chisinau étant pleins, les volontaires nous ont envoyés à Bălți, où ils nous ont hébergés dans deux maisons. Les hôtes étaient des baptistes — des gars fantastiques. Nous avons passé une journée à récupérer, puis nous avons laissé la place au groupe de réfugiés suivant. Nous avons été pris en charge par d'autres Moldaves qui se rendaient en Roumanie (je vous rappelle que nous ne pouvions pas tous rentrer dans une seule voiture). C'étaient des gens formidables, mais en chemin, ils ont entamé une conversation du genre « ce n'est pas si évident ». « Et si la Moldavie est attaquée, nous nous rendrons bien sûr », ont-ils dit, « comment pourrions-nous résister ? »
En Roumanie, nous avons été accueillis par un jeune couple marié qui nous a laissé leur grand appartement et eux-mêmes sont partis chez des amis. Maman et la grand-mère de ma femme ont décidé de s’installer en Allemagne et ma sœur est partie pour rejoindre son fils qui vit en Suède.
Nous étions tous tirés dans des directions différentes — vers l'Estonie (où vit mon frère), l’Israël, l'Allemagne. Mais pour l’instant, nous devions passer le Shabbat quelque part, et le Beth 'Habad nous a loué une chambre dans un hôtel de Cluj-Napoca. C'est là qu'a eu lieu la rencontre la plus importante pour nous. L'université locale est réputée pour sa faculté de médecine vétérinaire, où de jeunes juifs viennent étudier, les garçons venant principalement d'Israël et les filles de France. Pendant ce Shabbat à Beth 'Habad, à la même table que ma femme, s’est trouvée une Parisienne, Karine, qui était venue rendre visite à sa fille étudiante. Personne incroyablement compatissante, le lendemain elle dit soudain qu'une famille aussi nombreuse a besoin d'une communauté, d'une école pour les enfants, etc. et si vous décidez de venir à Paris, je vous aiderai de toutes les manières possibles.
C'était l'option la plus exotique et peu rationnelle, mais... nous avons décidé d'essayer.