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Boutcha
Des Russes ont enfoncé la porte de tous les appartements avec un haltère de sport
Nathalie Schwartz, spécialiste en marchandises
Une entrée après un bombardement russe

Photo: Nathalie Schwartz
Le 24 février, à 4h40 du matin, une voisine nous a appelé pour nous dire « Natacha, on nous
bombarde ». Mon mari et moi avons tressailli de peur, évidemment, mais ce n’était pas la première fois. Nous étions déjà passés par là puisque nous venons nous-mêmes de Donetsk, et que nous habitons à Boutcha depuis 2017.

Le 2 mars, un obus est arrivé à l’extrémité de notre entrée

Le 23 au soir, mon mari est allé comme à chaque fois amener notre voiture pour la réparer
et on a promis de nous la rendre la semaine suivante. Mais, le lendemain, à 6h du matin, le
maître appelle à prendre les armes et à faire la guerre.

Nos voisins d’immeuble ont commencé à descendre avec leurs enfants et leurs valises à 7h environ et de suite, les queues grandissent aux stations-services. C’était tout simplement un cauchemar, tout le monde courait dans tous les sens… Le quartier de Rich Town, dans lequel nous louions notre appartement, est situé juste à la limite d’Hostomel’, où les Russes ont immédiatement commencé à bombarder l’aéroport Antonov. Soit à 5km de chez nous.

Incendie dans les quartiers résidentiels de Bucha après les bombardements russes

Photo: Nathalie Schwartz
Les explosions chez nous ont débuté à partir de 9h du matin. Pendant les deux ou trois
premiers jours, il y eut de violents bombardements, en même temps qu’à Hostomel’ puis des avions ont été bombardés et des hélicoptères étaient dans le ciel. Ceux qui n’ont pas eu le temps de partir tout de suite, n’ont presque pas essayé par la suite : c’était très dangereux, car les voitures étaient abattues. Tout le monde est descendu sous terre. Nous avons aussi tenté mais il faisait vraiment froid, si bien que cela n’était pas supportable. Nous sommes donc restés à la maison, se protégeant des bombardements dans la salle de bain. Depuis le 1er mars, il n’y a plus d’électricité, ni d’eau, ni de gaz.

Et le 2, un obus s’est écrasé au bout de l’entrée, détruisant l’alimentation en gaz; à ce moment, les Russes occupaient déjà une partie de la ville. Les hommes ont vite compris, ils ont sorti des
braseros dans la cour et le poêle d’une maison abandonnée. Et dès le matin, tout le monde
a accouru - avec sa bouilloire, sa gamelle ou sa casserole - pour faire bouillir son eau, son porridge, faire des pâtes ou du thé. Ensuite, l’eau a été coupée.

L’approvisionnement en nourriture était supportable puisque les voisins qui sont partis, ont laissé les clés et nous ont laissé prendre des provisions. Il restait de la confiture et des pommes de terre. Pour les médicaments, cela a été plus problématique: la pharmacie de quartier a été fermée en février, jusqu’au 1er mars, un point du centre fonctionnait encore, mais les files d’attente y étaient longues.

Ensuite, les Russes sont entrés et de manière générale, il était impossible de sortir dehors car ils tiraient sans arrêt. On ne pouvait même pas allumer une bougie, car le bruit courait qu’ils pouvaient viser le feu. Au coucher du soleil, il y avait un couvre-feu.

Le 8 mars, vingt soldats sont arrives

Ce jour-là, la seule fois où nous les avons croisés, une vingtaine de soldats sont arrivés en ville, habillés en tenue complète, tout en noir et armés de lance-grenades. Ils sont venus dans notre immeuble, en ont fait le tour et ont voulu occuper le deuxième et le troisième étage pour pouvoir riposter. Notre position est particulièrement stratégique car d’un côté, il y a Hostomel’, de l’autre Irpin, et derrière, on voit Boutcha. Cependant, ce qu’ils visent, c’est de prendre Kiyv, c’est pourquoi les trois directions restent stratégiques.

En face de nous, se trouvait « l’Épicentre » : nous y avons vu de nombreuses voitures abattues avec des morts, certains allongés à côté des voitures, directement par leurs familles. Dans d’autres, les morts étaient assis directement dans l’habitacle.
De manière générale, les batailles étaient intenses ; et ils se sont approchés directement
avec une carte : « Voilà, nous voulons nous installer ici avec vous ». Un voisin l’a bien
compris, il nous a dit : « Regardez l’immeuble, fait de brique et de mousse, si vous nous venez en aide, elle s’écroulera sur vous, comme un château de cartes. Et vous serez enterrés sous les décombres ». Il vous faut quelque chose de plus fiable, dit-on. Ils ont fait plusieurs fois le tour puis sont partis.

Dans notre entourage proche, personne n’est mort, mais une collègue de travail qui partageait le même bureau vivait à Irpin, soit littéralement à un kilomètre et demi de chez nous. Ils habitaient dans un appartement au sixième étage, elle et son enfant ont pu être évacués, mais son mari est parti combattre et le grand-père de 72 ans est resté. L’une des pièces a été touchée directement par un impact, ce qui a déclenché un incendie. L’homme a tenté de s’enfuir, en commençant à tresser un support des draps, mais il s’est emmêlé, a trébuché, tombé par fenêtre et est mort écrasé.

Nous avons essayé de partir le 9 mars par un « couloir vert », nous avons pour cela traversé toute la ville de Boutcha à pied avec nos bagages, jusqu’au conseil municipal. Il y avait des chars et des véhicules de combat partout. Toute la ville était venue à 11h, comme cela avait été déclaré. Ils ont dit que les femmes et les enfants seraient emmenés, tandis que les hommes ne seraient pas autorisés à entrer dans les véhicules. Ils ont poursuivi en disant que quand tous seraient placés, il serait possible d’avancer en colonne des voitures privées. Mais pour nous, ce n’était pas une option envisageable car quand nous sommes arrivés, la vitre arrière était cassée et il n’y avait plus d’essence. Nous nous sommes donc rendus au bus mais c’était sans espoir. Nous sommes restés à cet endroit pendant deux heures, il faisait très froid. Alors que nous pensions déjà rebrousser chemin, des hommes, nous voyant revenir avec nos valises, nous ont proposé de nous évacuer.

À partir d’une heure de l’après-midi, ils ont attendu l’autorisation pour envoyer des bus, mais ils ne les ont pas laissé passer. Cependant, à leurs risques et périls, un énorme convoi de voitures individuelles de plus de 500 a pris la route. Vers 16h30, nous sommes enfin partis, et avons tourné sur l’autoroute de Varsovie puis sur celle de Jytomyr, pour finalement arriver à Kiyv à 2h30. Nous avons mis près de 12h pour faire une route, qui nous prenait d’habitude qu’une demi-heure.

L’entreprise pour laquelle je travaillais a complètement brûlé

En face de nous, se trouvait « l’Épicentre » : nous y avons vu de nombreuses voitures abattues avec des morts, certains allongés à côté des voitures, directement par leurs familles. Dans d’autres, les morts étaient assis directement dans l’habitacle. Ce sont ceux qui ont tenté de partir par eux-mêmes : ils ont été abattus.

Nous sommes arrivés à Bilohorodka, où se trouvaient des policiers ukrainiens et des volontaires. Dans ce village, nous pouvions boire du thé et manger quelque chose. Nous avons passé la nuit dans un hôtel à Kiyv, puis le matin, des hommes nous ont emmenés à Khmelnytskyï, nous avons voyagé pendant deux jours, il y avait de nombreux points de contrôle et il n'y avait pas d'essence. Dans un premier temps, de Khmelnytskyï à Lviv, puis jusqu’à Doubliany, où nous avons vécu jusqu'au 5 mai.

Voiture civile détruite avec le corps du conducteur à l'intérieur, Bucha, 2 avril 2022
Photo : Police nationale d'Ukraine, Wikipedia
Ils ne nous ont pris que quelques petites choses, comme les chaussures de mon mari, une montre-bracelet, un GPS, une lampe de poche, une perceuse électrique. Mais les salauds ! Ils ont tiré sur deux téléviseurs, un dans la cuisine et l’autre dans la chambre.
L'entreprise dans laquelle je travaillais à Boutcha a été bombardée, elle a entièrement brûlé- nos entrepôts, nos transports, tout... Il ne restait que des ruines. En mai, nous sommes
retournés à Boutcha pendant quelques jours, puis nous avons quitté l'appartement, et j'ai été
payée par le travail, autrement dit, licenciée.

Nous avons parlé avec une voisine qui n’est jamais partie. Quand il y avait des combats
importants à Irpin, les Russes s’y rendaient pour riposter puis, ils revenaient pour «siéger » dans notre immeuble, selon leur expression. Et puis voici ce qu'ils ont trouvé. Nous avons une salle de sport , ils y ont pris une barre d’haltère et de là, ont commencé à marcher le long des entrées et à enfoncer les portes de tous les appartements. Parfois, cela fonctionnait, et quand ce n'était pas le cas, ils perçaient un trou près de la porte et sortaient la serrure. En résumé, ils ont réussi à tout ouvrir. Notre quartier était composé de deux immeubles de sept étages et quatre de huit étages. Ils ont pris tout ce qu’ils voulaient. Ils ont tout retourné et pillé.

Le 22 mars, les Russes sont arrivés dans notre quartier et ont commencé à s’y installer. Des voisins décrivent ce moment comme sept jours passés en enfer. Ils sont montés au dernier étage pour tirer. Toutes les caves étaient remplies de caissons d’armes. Les malheureux gens n’ont pu partir nulle part et les Russes ont tiré depuis ces fenêtres.

Par chance, aucun habitant n’a été touché. Par contre, ils ont pris les téléphones de tout le monde et les ont brisés. Même s’il n’y avait déjà plus de réseau.

Dans notre appartement, les Russes ont tiré sur deux téléviseurs, un dans la cuisine et l’autre dans la chamber

Le 31 mars, ils ont rapidement fait leurs bagages, ont tout laissé sur place et sont partis deux heures après. Des voisins ont commencé à sortir sans bruit, ayant peur des débordements. Par la suite, ils ont continué en entrant dans les appartements et en faisant des petites vidéos. Notre appartement a été pris en vidéo, on y voit les portes de notre entrée cassées, que notre appartement avait été occupé. Ils ne nous ont pris que quelques petites choses, comme les chaussures de mon mari, une montre-bracelet, un GPS, une lampe de poche, une perceuse électrique.

Mais les salauds ! Ils ont tiré sur deux téléviseurs, un dans la cuisine et l’autre dans la chambre. Tout a été retourné et les toilettes ont été particulièrement salis. D'autres voisins se sont fait enlever des ordinateurs portables et des tablettes, et même des meubles pour enfants. Ils ont pris directement des camions KamAZ et ont détruit tout ce qu’ils voulaient détruire. Les hommes qui nous ont aidés à s’échapper sont restés en contact aussi avec nos voisins.

Quelqu’un de là-bas nous a dit qu’un char avait traversé une propriété privée, suivi d’un camion et qu’ils avaient littéralement introduit dans chaque cour, défoncé toutes les portes et avaient tout détruit sur leur passage.

C’est pour cette raison que nous avons décidé de partir d'abord à Trouskavets jusqu'à la base juive de Sokhnut, puis de là nous sommes partis à Budapest puis en Israël. Nous vivons actuellement chez des proches à Petah Tikva, à la recherche d'un logement.

Nathalie et son mari à Budapest
Le témoignage a fait l'objet d'une chronique le 25 mai 2022

Traduit du russe par Thaïs Jeancenel